Nous remercions notre amie, membre de notre association,
Anne-France Dautheville pour son compte-rendu d’un entretien accordé il y a
quelques semaines par un ancien dirigeant de Mobil Oil à Ellen Cantarow,
journaliste à TRUTH-OUT.ORG
Un allié inattendu
Dans le concert de louanges
adressées aux merveilleux schistes par les ténors de l'industrie pétrolière,
une fausse note fait désordre: Louis W. Allstadt, ancien vice-président de
Mobil. Il est contre, et il le dit à Ellen Cantarow, qui l'interviewe pour le
site « Truthout » le 19 juillet 2013.
Pendant toutes les années de sa
longue carrière, Louis W. Allstadt a servi la cause du pétrole au cœur de la
très puissante entreprise américaine Mobil. Il a débuté dans la logistique
avant de passer au marketing et au raffinage. Douze ans à Singapour et au Japon
surtout, le plus grand centre d'action après les USA. Dernier chapitre de cet
itinéraire d'un enfant doué, avec la responsabilité de quarante tankers qui
tournaient autour du monde, pleins de pétrole à vendre ou remplis de pétrole
fraîchement acheté. C'est dire s'il connaît bien le monde pétrolier, son
fonctionnement et sa logique. Allstadt a participé à la fusion de Mobil avec
Exxon et puis il a pris sa retraite après trente et un ans de bons et loyaux
services.
Exxon-Mobil est devenu le groupe le
plus puissant de l'industrie pétrolière, tandis que, dans sa maison de
Cooperstown, au bord du lac Otsago dans l'état de New-York, Louis W. Allstadt
se préparait à vivre un repos délicieux.
Questions à un pro.
Tout aurait pu se poursuivre dans le
bonheur et l'harmonie si des amis ne lui avaient demandé son avis sur la
fracturation hydraulique: il était question d'un forage tout près du lac. En
bon professionnel, Allstadt s'est documenté avant de répondre; 1500 pages du
SGEIS, un pavé produit en 2011 par le Département de l'Environnement de l'état
de New-York. Sa réaction à cette lecture fut claire et précise: "Tout
simplement horrible !" La fracturation hydraulique est, selon lui "un
forage conventionnel sous stéroïdes". Les ravages causés par ces produits
dopants sur le corps des athlètes sont une bonne image des dégâts causés par
cette nouvelle technique.
Une retraite peu tranquille.
L'information peut faire basculer
une vie. Allstadt avait imaginé un quotidien partagé entre le kayak, la galerie
d'art ouverte avec sa femme, la poterie et le tennis… Il se retrouve parmi les
meneurs de la révolte contre la fracturation hydraulique. Avec des arguments.
Jusqu'en l'an 2000, on produisait du
pétrole ou du gaz avec des méthodes conventionnelles: un forage perce une couche rocheuse imperméable, libère le
pétrole et le gaz qu'elle emprisonne. Il ne s'agit pas d'une caverne
souterraine, ils sont pris dans une roche poreuse, mais la pression naturelle
du gaz fait remonter les deux. 20 ou 30 ans plus tard, il faudra donner un coup
de pouce supplémentaire.
- L'industrie
pétrolière vous dit et répète que le
forage horizontal et la fracturation existent depuis 60 ans. C'est vrai. Mais
la différence, c'est le volume des fluides de fracturation et le volume du
retour dans les puits de forage: entre 50 et 100 fois plus que ce qui est
utilisé dans les puits conventionnels. .. L'autre différence, c'est que la
roche au-dessus de la zone visée n'est pas forcément imperméable, alors qu'elle
l'était dans les puits conventionnels. Et pour moi, ce dernier point est au
moins aussi important que le précédent. L'industrie vous dira que 2000 ou 3500m entre la zone de fracturation et la
surface empêcheront toute remontée du méthane. Mais il y a déjà des cas où le
gaz s'est retrouvé dans la nappe phréatique ou dans l'atmosphère, parfois en
filant par les forages, parfois par les craquelures naturelles de la roche.
Le mystère du paragraphe perdu.
Les fuites de méthane sont un enjeu
majeur dans le drame de la fracturation hydraulique. Louis W. Allstadt raconte
l'histoire d'un appendice du SGEIS de juillet 2011. Il faisait état d'une étude
menée par le Ministère de l'Environnement dans une zone houillère. Les
pétroliers y utilisent la fracturation hydraulique pour récupérer le méthane
produit par les couches de charbon. Le Colorado et le Nouveau-Mexique, des
régions aux paysages somptueux, sont victimes de ce procédé; en 2004, ils ont
produit 70% de ce type de méthane. Cette étude, donc, décrivait des fissures
qui s'étendaient dans des directions et sur des distances tout à fait
inattendues. En septembre, quand le document a été publié, l'appendice et les
fissures avaient sauté.
- Faire
l'impasse sur la seule preuve directe de ces fissures ou rayer ce fait de
l'information publique indique que l'industrie pétrolière essayait de cacher
quelque chose… Cela montrait que les fissures pouvaient permettre au méthane
d'atteindre l'eau potable de la nappe souterraine aussi bien que l'atmosphère.
Au cours de cet interview, M. Allstadt
confirme ce que nous avons appris en France aussi: que le méthane est un gaz à
effet de serre bien plus nocif que le dioxyde de carbone, et ceci à court
terme: moins de 100 ans. A propos des progrès techniques, il affirme qu'ils
sont indéniables: on est, par exemple, capable de forer à 400 km au large de
Terre-Neuve, au milieu d'un couloir d'icebergs. Mais ceux qui mettent au point
ces techniques admirables travaillent avec la notion d'un périmètre bien
précis; ils n'ont aucune idée de la dimension planétaire de leurs inventions.
Ainsi ont-ils imaginé la fracturation hydraulique, sans envisager un seul
instant ses effets catastrophiques. Allstadt cite une étude selon laquelle 100%
des bouchons insérés dans les puits abandonnés ne serviront plus à rien dans
les 100 ans à venir, et parfois même avant.
Il est temps de penser l'avenir.
Les pétroliers affirment que
l'exploitation des schistes permet d'établir un pont vers les énergies
renouvelables. Sauf qu'il ne se passe rien.
- Ce n'est un
pont que si vous en posez les fondations sur l'autre rive. Et personne ne les construit, martèle Louis. W. Allstadt.
A l'époque des crises pétrolières,
Mobil et Exxon avaient investi dans la recherche sur le solaire; ils ont
abandonné: les cellules ne produisaient pas assez d'électricité pour que
l'aventure soit rentable. Il y a eu un essai d'exploitation des schistes sans
fracture hydraulique; abandonné. Biocarburants, algues comprises, abandonnés.
Solution ? Informer, susciter des mouvements citoyens, exiger des politiques
des lois protectrices. Développer des
énergies alternatives. "Sinon, dit Allstadt, il se produira une
catastrophe climatique, et personne ne pourra l'ignorer."
Les associations de lutte contre
l'exploitation des schistes utilisent la plupart des arguments exposés par M.
Allstadt. Les représentants de l'industrie pétrolière les balaient
avec le parfait mépris du spécialiste-qui-sait pour le pauvre ignorant
qui ose s'aventurer sur un terrain auquel, par définition, il ne comprend rien.
Seulement voilà: l'une des voix les plus éduquées en la matière se joint à
notre concert. Celle d'un homme qui fut l'un des plus importants dans le monde
bien fermé auquel nous nous affrontons.
Si vous lisez
l'anglais, vous trouverez l'interview de M. Allstadt sur le site:
Autre document
édifiant: la lettre d'un responsable environnemental de Denver, dans le
Colorado, à propos des menaces sur l'eau potable dues à la fracturation
hydraulique. Il précise la collusion entre le Ministère de l'Environnement et
l'industrie pétrolière. Ce qui, bien entendu, n'arrivera jamais en France.
Anne-France Dautheville