lundi 19 août 2013

Un allié inattendu



Nous remercions notre amie, membre de notre association, Anne-France Dautheville pour son compte-rendu d’un entretien accordé il y a quelques semaines par un ancien dirigeant de Mobil Oil à Ellen Cantarow, journaliste à TRUTH-OUT.ORG 

Un allié inattendu

 
            Dans le concert de louanges adressées aux merveilleux schistes par les ténors de l'industrie pétrolière, une fausse note fait désordre: Louis W. Allstadt, ancien vice-président de Mobil. Il est contre, et il le dit à Ellen Cantarow, qui l'interviewe pour le site « Truthout » le 19 juillet 2013.

 
            Pendant toutes les années de sa longue carrière, Louis W. Allstadt a servi la cause du pétrole au cœur de la très puissante entreprise américaine Mobil. Il a débuté dans la logistique avant de passer au marketing et au raffinage. Douze ans à Singapour et au Japon surtout, le plus grand centre d'action après les USA. Dernier chapitre de cet itinéraire d'un enfant doué, avec la responsabilité de quarante tankers qui tournaient autour du monde, pleins de pétrole à vendre ou remplis de pétrole fraîchement acheté. C'est dire s'il connaît bien le monde pétrolier, son fonctionnement et sa logique. Allstadt a participé à la fusion de Mobil avec Exxon et puis il a pris sa retraite après trente et un ans de bons et loyaux services.

            Exxon-Mobil est devenu le groupe le plus puissant de l'industrie pétrolière, tandis que, dans sa maison de Cooperstown, au bord du lac Otsago dans l'état de New-York, Louis W. Allstadt se préparait à vivre un repos délicieux.
 

Questions à un pro.

            Tout aurait pu se poursuivre dans le bonheur et l'harmonie si des amis ne lui avaient demandé son avis sur la fracturation hydraulique: il était question d'un forage tout près du lac. En bon professionnel, Allstadt s'est documenté avant de répondre; 1500 pages du SGEIS, un pavé produit en 2011 par le Département de l'Environnement de l'état de New-York. Sa réaction à cette lecture fut claire et précise: "Tout simplement horrible !" La fracturation hydraulique est, selon lui "un forage conventionnel sous stéroïdes". Les ravages causés par ces produits dopants sur le corps des athlètes sont une bonne image des dégâts causés par cette nouvelle technique.

 

Une retraite peu tranquille.

            L'information peut faire basculer une vie. Allstadt avait imaginé un quotidien partagé entre le kayak, la galerie d'art ouverte avec sa femme, la poterie et le tennis… Il se retrouve parmi les meneurs de la révolte contre la fracturation hydraulique. Avec des arguments.

            Jusqu'en l'an 2000, on produisait du pétrole ou du gaz avec des méthodes conventionnelles: un forage perce  une couche rocheuse imperméable, libère le pétrole et le gaz qu'elle emprisonne. Il ne s'agit pas d'une caverne souterraine, ils sont pris dans une roche poreuse, mais la pression naturelle du gaz fait remonter les deux. 20 ou 30 ans plus tard, il faudra donner un coup de pouce supplémentaire.
 

- L'industrie pétrolière  vous dit et répète que le forage horizontal et la fracturation existent depuis 60 ans. C'est vrai. Mais la différence, c'est le volume des fluides de fracturation et le volume du retour dans les puits de forage: entre 50 et 100 fois plus que ce qui est utilisé dans les puits conventionnels. .. L'autre différence, c'est que la roche au-dessus de la zone visée n'est pas forcément imperméable, alors qu'elle l'était dans les puits conventionnels. Et pour moi, ce dernier point est au moins aussi important que le précédent. L'industrie vous dira que 2000 ou  3500m entre la zone de fracturation et la surface empêcheront toute remontée du méthane. Mais il y a déjà des cas où le gaz s'est retrouvé dans la nappe phréatique ou dans l'atmosphère, parfois en filant par les forages, parfois par les craquelures naturelles de la roche.
 

Le mystère du paragraphe perdu.

            Les fuites de méthane sont un enjeu majeur dans le drame de la fracturation hydraulique. Louis W. Allstadt raconte l'histoire d'un appendice du SGEIS de juillet 2011. Il faisait état d'une étude menée par le Ministère de l'Environnement dans une zone houillère. Les pétroliers y utilisent la fracturation hydraulique pour récupérer le méthane produit par les couches de charbon. Le Colorado et le Nouveau-Mexique, des régions aux paysages somptueux, sont victimes de ce procédé; en 2004, ils ont produit 70% de ce type de méthane. Cette étude, donc, décrivait des fissures qui s'étendaient dans des directions et sur des distances tout à fait inattendues. En septembre, quand le document a été publié, l'appendice et les fissures avaient sauté.

 

- Faire l'impasse sur la seule preuve directe de ces fissures ou rayer ce fait de l'information publique indique que l'industrie pétrolière essayait de cacher quelque chose… Cela montrait que les fissures pouvaient permettre au méthane d'atteindre l'eau potable de la nappe souterraine aussi bien que l'atmosphère.

             Au cours de cet interview, M. Allstadt confirme ce que nous avons appris en France aussi: que le méthane est un gaz à effet de serre bien plus nocif que le dioxyde de carbone, et ceci à court terme: moins de 100 ans. A propos des progrès techniques, il affirme qu'ils sont indéniables: on est, par exemple, capable de forer à 400 km au large de Terre-Neuve, au milieu d'un couloir d'icebergs. Mais ceux qui mettent au point ces techniques admirables travaillent avec la notion d'un périmètre bien précis; ils n'ont aucune idée de la dimension planétaire de leurs inventions. Ainsi ont-ils imaginé la fracturation hydraulique, sans envisager un seul instant ses effets catastrophiques. Allstadt cite une étude selon laquelle 100% des bouchons insérés dans les puits abandonnés ne serviront plus à rien dans les 100 ans à venir, et parfois même avant.
 

Il est temps de penser l'avenir.

            Les pétroliers affirment que l'exploitation des schistes permet d'établir un pont vers les énergies renouvelables. Sauf qu'il ne se passe rien.

- Ce n'est un pont que si vous en posez les fondations sur l'autre rive. Et personne  ne les construit, martèle Louis. W. Allstadt.

            A l'époque des crises pétrolières, Mobil et Exxon avaient investi dans la recherche sur le solaire; ils ont abandonné: les cellules ne produisaient pas assez d'électricité pour que l'aventure soit rentable. Il y a eu un essai d'exploitation des schistes sans fracture hydraulique; abandonné. Biocarburants, algues comprises, abandonnés. Solution ? Informer, susciter des mouvements citoyens, exiger des politiques des lois protectrices.  Développer des énergies alternatives. "Sinon, dit Allstadt, il se produira une catastrophe climatique, et personne ne pourra l'ignorer."

            Les associations de lutte contre l'exploitation des schistes utilisent la plupart des arguments exposés par M. Allstadt. Les représentants de l'industrie pétrolière  les balaient  avec le parfait mépris du spécialiste-qui-sait pour le pauvre ignorant qui ose s'aventurer sur un terrain auquel, par définition, il ne comprend rien. Seulement voilà: l'une des voix les plus éduquées en la matière se joint à notre concert. Celle d'un homme qui fut l'un des plus importants dans le monde bien fermé auquel nous nous affrontons. 

Si vous lisez l'anglais, vous trouverez l'interview de M. Allstadt sur le site:


 

Autre document édifiant: la lettre d'un responsable environnemental de Denver, dans le Colorado, à propos des menaces sur l'eau potable dues à la fracturation hydraulique. Il précise la collusion entre le Ministère de l'Environnement et l'industrie pétrolière. Ce qui, bien entendu, n'arrivera jamais en France.


 

Anne-France Dautheville